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Quelles solutions pour anticiper un contentieux en Chine ? Louis Lacamp
Par AFCDE
Le 06/04/2018
#chine, #contentieux, #médiation, #arbitrage, #inexécution contractuelle
Association Franco-Chinoise pour le Droit Economique Maison du Barreau, le 1er février 2017

Introduction

Plus de 8.000.000 de décisions sont rendues chaque année en Chine par plus de 3.600 juridictions.

Certains sites de jurisprudence présentent un décompte en temps réel des décisions publiées dans la journée. Chaque jour, plus de 100.000 décisions sont publiées, avec parfois des pics à plus de 800.000 décisions. Ces nombres incluent la publication de décisions plus anciennes, la publication n'étant obligatoire que depuis le 1er janvier 2014. Cela fait une moyenne minimum de plus d'une décision par seconde.

Si ces nombres sont impressionnants, ils sont aussi décourageants. Décourageants car les décisions rendues devraient combler le vide et le flou de la loi, mais leur manque de hiérarchisation les en empêche.

En France, la Cour de cassation a rendu environ 30.000 arrêts en 2016 et sa jurisprudence est bien classée, avec les mentions PBRI qui permettent de savoir quels arrêts sont revêtus d'une valeur particulière. Une certaine unité dans la jurisprudence est assurée. Les articles de doctrine permettent également d'orienter les recherches.

En Chine, la situation est tout autre. Malgré le nombre très important de décisions, seulement 6.000 ont été rendues par la Cour populaire suprême en 2016...soit 5 fois moins que la Cour de cassation ! Il faut ajouter à cela qu'à l'heure actuelle, la hiérarchisation de l'importance des arrêts est en pleine élaboration.

Elle a commencé en 1985 avec certaines décisions qui étaient publiées au « bulletin de la Cour populaire suprême », puis à partir des années 2005 les gazettes juridiques se sont multipliées, telles que le « panorama de jurisprudence » édité depuis 2006, la « sélection de chinoises », éditée depuis 2012...et la liste est encore longue. À chaque fois, l'auteur est différent, certaines étant rédigées par des universités, d'autres par différents organismes relevant de la Cour populaire suprême.

En parallèle se sont développées des jurisprudences qualifiées de « jurisprudences typiques », illustrant des problématiques récurrentes.

Enfin, et c'est une étape importance dans ce processus de hiérarchisation, en 2010 la Cour populaire suprême a publié des règles relatives aux jurisprudences directrices, afin d'uniformiser l'application du droit. Tandis que les décisions publiées dans les différentes gazettes n'ont qu'une force indicative pour les juridictions, ces « jurisprudences directrices » ont force obligatoire, l'article 7 desdites règles prévoyant que les juridictions ont l'obligation de se référer à ces jurisprudences lorsqu'elles sont confrontées à des situations similaires. Le problème est qu'à l'heure actuelle, seules 2.400 jurisprudences ont été qualifiées de directrices, ce qui est très peu comparativement à toutes les décisions rendues. De plus, les décisions des différentes gazettes ont tendance à se recouper, avec pour conséquence que seul un nombre très faible d'arrêts est finalement mis en avant, d'autant plus que ce système n'a qu'environ 10 ans d'ancienneté.

En pratique, on se retrouve ainsi quasi-systématiquement dans la situation suivante : lorsque l'on cherche une jurisprudence tranchant une question précise, on essaye d'abord d'aller la trouver au sein des jurisprudences directrices ou typiques et des différentes gazettes, ce qui prend beaucoup de temps et on n'y trouve quasiment jamais de réponse. On étend alors la recherche aux autres jurisprudences et là on est parti pour lire, si on a de la chance, un bon millier de décisions. Autant dire que c'est impraticable.

C'est si vrai que la formation des juristes chinois ignore presque totalement l'étude de la jurisprudence. La formation dispensée dans les universités chinoises ne s'appuie jamais sur celle-ci et il en va de même des manuels de droit chinois. Les seuls ouvrages en comportant sont des compilations de compilations d'arrêts, à l'état brut. Mais il y a une déconnexion entre les manuels explicatifs et les arrêts. Le travail, qui consiste à lier les deux types d'ouvrages, est considérable, ce qui a pour conséquence qu'il n'est jamais fait.

Plus concrètement, quand vous ouvrez un manuel de droit, vous vous retrouvez dans la situation suivante : en droit allemand la Cour suprême juge ceci, en droit français la Cour de cassation juge cela, en droit japonais la solution retenue est autre...mais en droit chinois et bien on ne sait pas ! Ce manque provient de l'absence d'utilisation de la jurisprudence.

Même dans l'examen pour devenir avocat ou juge en Chine, il n'est pas demandé de connaître la jurisprudence, les connaissances attendues se focalisant sur les textes législatifs et réglementaires.

En prenant un peu de recul, on se rend compte que l'évolution de l'étude de la jurisprudence en Chine suit deux mouvements qui sont symptomatiques de l'évolution de son droit :

  • Tout d'abord, une phase d'explosion : nous sommes passés d'une opacité quasi-totale des décisions de justice à une publication obligatoire de l'ensemble des décisions pour l'ensemble des juridictions depuis le 1er janvier 2014.
  •  Ensuite, une phase de rationalisation : elle consiste à trier toutes les informations qui viennent d'être révélées. Cette phase est en cours à l'heure actuelle mais est encore loin d'être finie.

Nous retrouvons ces mêmes mouvements au sein des gazettes juridiques. Nous sommes passés d'une absence de gazettes à une multiplication de gazettes, et maintenant il faut les trier et faire émerger une hiérarchie plus officielle.

De manière plus générale c'est ce qui se passe en droit chinois : il y a eu une inflation phénoménale de normes juridiques, conduisant à des conflits de normes et a une hiérarchie des normes qui n'est pas toujours appliquée. Là encore il y a eu une phase d'explosion, nécessitant maintenant une phase de rationalisation avec un contrôle plus transparent de la légalité des règlements locaux et une mise en œuvre effective d'un contrôle de constitutionnalité des lois afin d'ordonner les normes nouvellement édictées.

Pour revenir à la jurisprudence et pour illustrer une dernière fois ce phénomène, il est possible de comparer cela à un système informatique. Nous disposons d'une masse énorme de données à l'état brut. Nous avons les moyens de chercher, car les sites de recherche chinois sont extrêmement puissants et permettent de faire des recherches avec des critères ahurissants. Pour vous donner une idée, il est possible de trouver combien de fois a été lu et cité un mémoire de master rédigé par tel ou tel étudiant venant de telle ou telle université chinoise. Il est réellement possible de tout trouver. Il manque maintenant un guide indiquant où se situent les informations importantes afin de savoir où chercher.

De tout cela, il résulte une insécurité juridique sur beaucoup de questions importantes, qui conduit à ce qui est appelé par les juristes chinois : le phénomène d'« une même situation, des jugements différents ». Cet aléa doit être pris en compte lorsque l'on appréhende le contentieux en Chine.

Un autre élément lié à la tradition extrajudiciaire chinoise peut tenir un rôle dans un contentieux en Chine est. C'est l'influence bien connue du guanxi11, c'est-à-dire des relations interpersonnelles, qui peuvent notamment exister entre de grandes entreprises locales chinoises et les juridictions locales. Si ce phénomène ne doit pas être surestimé - car à mon avis il l'est et nous pouvons avoir l'impression en lisant certains articles sur le droit chinois que tout litige devant une juridiction est forcément faussé par une partialité du juge, alors que tout ne se règle pas via le guanxi, loin de là - c'est une situation qui peut se présenter et il est simplement prudent de prendre des mesures afin d'éviter que cela ne se produise, surtout lorsqu'on se retrouve dans une situation propice à un tel phénomène.

Une fois que l'on a ces éléments en tête, l'on peut s'intéresser aux solutions permettant d'anticiper un contentieux en Chine.

Anticiper, c'est en premier lieu bien rédiger un contrat. Il faut donc commencer par voir quelles clauses il peut être utile d'insérer (I).

Mais anticiper, c'est aussi savoir réagir lors de l'exécution du contrat (II). Que faire si le cocontractant n'exécute pas son obligation ou risque de ne pas exécuter ? Quelles sont les prérogatives unilatérales qu'il est possible de mettre en œuvre afin de limiter le préjudice subi avant que le juge ne soit saisi ? C'est un aspect important de l'anticipation, car les clauses insérables lors de la rédaction du contrat sont dans la dépendance directe de la force de négociation des parties, ce qui limite la marge de manœuvre, tandis que ces prérogatives unilatérales sont moins sujettes à ce rapport de force.

I . L'anticipation au moment de la rédaction du contrat

Il est possible de prévoir contractuellement un mode alternatif de règlement du contentieux, via une clause de médiation préalable (1) ou une clause d'arbitrage (2). D'autres clauses permettent également d'aménager un futur contentieux : ainsi d'une clause élective de loi applicable (3), d'une clause élective de juridiction (4), ou encore d'une clause pénale (5).

  1. Clause de médiation préalable

Le contentieux est perçu en Chine comme une situation de blocage perturbant l'ordre social et qu'il faut éviter autant que possible. Priorité est donc donnée à la négociation et à la médiation.

Il faut distinguer la médiation judiciaire de la médiation extra-judiciaire, les clauses de médiation préalable relevant de cette seconde catégorie.

La médiation judiciaire est un principe directeur de la procédure civile, et se déroule devant le juge saisi d'un contentieux. Celle-ci est possible à tout moment de la procédure, sauf durant la phase d'exécution forcée du jugement. Le juge a même l'obligation de conduire une médiation en tout premier lieu, si les conditions s'y prêtent, sauf si les parties s'y opposent. Si la médiation aboutit, le juge va rédiger un accord de médiation qui aura force exécutoire.

Prévoir une clause de médiation préalable permet de définir à l'avance toutes les modalités de la médiation, tel que le médiateur, le lieu de la médiation ou encore la répartition des charges y étant liées.

Il est intéressant de constater que ces clauses sont efficaces en pratique, alors qu'en théorie on pourrait en douter.

Deux questions :

  • Que se passe-t-il si une partie saisit directement le juge en violation de la clause de médiation préalable ? C'est une question à propos de laquelle nous avons connu des évolutions récentes en France. En Chine, à l'heure actuelle, une telle violation n'emporte aucune conséquence et le juge se déclarera compétent. Cela s'explique par le fait que ce dernier a l'obligation de proposer de lui-même une médiation judiciaire aux parties. On substitue donc à la clause de médiation, la médiation proposée par le juge. On y perd quand même les modalités prévues par les parties.
  • Quelle est la force obligatoire de l'accord obtenu suite à la mise en œuvre d'une clause de médiation préalable ? Cela revient à se poser la question de la force obligatoire d'un accord de médiation extra-judiciaire. Un tel accord est traité comme un contrat, c'est-à-dire qu'il a force obligatoire mais n'a pas force exécutoire. Il en résulte que toute violation de celui-ci donne le droit à l'autre partie de saisir le juge, ce qui donnera lieu à une nouvelle procédure. In fine, cela peut conduire à déplacer le contentieux plus qu'à le régler. C'est pourquoi il est offert aux parties la possibilité de faire homologuer leur accord, en saisissant en commun le tribunal de base dans la juridiction duquel se trouve le comité populaire ayant conduit la médiation. Le tribunal doit être saisi sous les 30 jours de la conclusion de l'accord, et le juge vérifiera entre autres si l'accord ne viole aucune règle impérative, si le contenu est clair et s'il ne porte pas atteinte aux intérêts de l'Etat ou aux intérêts publics de la société. Un accord homologué aura la même valeur exécutoire qu'un accord de médiation judiciaire. Avant que le juge ne se prononce, une partie peut à tout moment rétracter la demande d'homologation, ce qui théoriquement rend incertain le processus d'homologation.

En pratique cependant, les accords de médiation sont vraiment respectés par les parties. En moyenne, c'est plus de 90% des accords de médiation extra-judiciaires qui sont exécutés spontanément par les parties, et il est très rare qu'une partie ignore la clause de médiation préalable en saisissant directement le juge.

Les clauses de médiation préalable sont ainsi très bien reçues en Chine et c'est d'ailleurs pourquoi elles sont si courantes. Toutefois, elles ne fonctionnent pas systématiquement, et les juridictions chinoises constatent que de plus en plus de médiations sont conduites dans un objectif purement dilatoire. Il faut garder à l'esprit qu'en droit les clauses de médiation préalables sont dénuées de toute force obligatoire et que lorsque un accord de médiation extra-judiciaire est conclu il est impératif, par prudence, d'en demander immédiatement l'homologation afin de se prémunir contre tout revirement ultérieur du cocontractant.

Si la médiation est très courante en Chine, l'autre grand mode de règlement alternatif du contentieux, l'arbitrage, l'est également.

  1. Clause d'arbitrage

Le droit chinois distingue les litiges internes des litiges comportant un élément d'extranéité. Cette distinction présente à l'heure actuelle deux intérêts en droit de l'arbitrage :

- Si le litige présente un élément d'extranéité, et si le juge saisi de l'exécution de la sentence arbitrale souhaite refuser d'accorder l'exécution, il doit d'abord en référer à la cour supérieure dont il dépend, qui elle-même doit en référer à la Cour populaire suprême si elle considère aussi que l'exécution doit être refusée. Ce n'est ainsi qu'avec l'accord de la Cour populaire suprême que la juridiction pourra refuser de déclarer exécutoire la sentence. Cela permet d'assurer une justice de qualité. Il n'y a pas de système identique si le litige ne présente pas d'élément d'extranéité.

- Si le litige est interne, le siège de l'arbitrage devra être en Chine. A l'inverse, en présence d'un élément d'extranéité, il y a possibilité de choisir comme siège de l'arbitrage un lieu en dehors de Chine, et s'appliquera alors la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères25. Il faut savoir que choisir un arbitrage hors de Chine n'est pas forcément la meilleure option. Choisir le siège à l'étranger permet avant tout d'assurer une plus grande indépendance du tribunal arbitral. Cela donne aussi un choix plus libre des arbitres, car en Chine ils doivent être choisis parmi des panels, et si l'on veut choisir un arbitre n'y figurant pas, il faut l'accord du président de la commission d'arbitrage. En revanche, choisir le siège en Chine permet un arbitrage plus rapide, moins cher, et permet surtout au tribunal arbitral d'adopter des mesures conservatoires en Chine durant la procédure, ce qui peut s'avérer très utile et qui n'est pas possible si le siège est à l'étranger. La décision doit se faire au cas par cas.

Quand est-ce qu'un élément d'extranéité est caractérisé ? C'est le cas, en vertu de l'article 1er des interprétations de la Loi sur la loi applicable aux relations juridiques présentant un élément d'extranéité :

  • Lorsque l'une des parties est une personne physique ou morale étrangère : une société immatriculée à Hong Kong, Macao ou Taiwan sera considérée comme une personne morale étrangère.
  • Lorsqu'une des parties a sa résidence habituelle hors du territoire chinois
  • Lorsque l'objet du contrat se situe sur un territoire étranger
  • Lorsque le fait à l'origine de la création, de la transformation ou de l'extinction des droits et obligations a eu lieu à l'étranger : cette disposition est interprétée étrangement par les Cours chinoises. En droit, l'acte à l'origine du contrat est le contrat, sauf qu'on se rend compte qu'en jurisprudence la simple conclusion d'un contrat à l'étranger ne suffit jamais en lui-même, les juridictions exigeant que le « fait à l'origine du contentieux » soit à l'étranger.
  • Tout autre situation dans laquelle il est possible de reconnaître que la relation juridique a un lien avec l'étranger.

Il est très important de noter qu'une personne morale immatriculée en Chine est une personne morale chinoise, quelle que soit sa forme juridique. Ainsi un conflit entre deux sociétés à capitaux exclusivement étrangers ne présentera pas de ce seul fait un élément d'extranéité, empêchant un arbitrage à l'étranger. C'est gênant, d'autant plus que les Cours chinoises refusent de reconnaître une sentence arbitrale rendue à l'étranger si celle-ci concerne un litige purement interne. Mais ce refus n'est pas fondé en droit. Ce n'est pas assez souligné, mais ces décisions violent la Convention de New York. Celle-ci prévoit, en son article 5, paragraphe 1er, que la nullité de la convention d'arbitrage est un motif de refus d'exécution mais que la validité de la clause se détermine selon la loi choisie par les parties, ou à défaut selon la loi du lieu de siège de l'arbitrage. Or, les Cours chinoises utilisent le droit chinois pour apprécier la validité de la convention, écartant la loi choisie par les parties et ignorant la loi du siège de l'arbitrage. Il en résulte que la sentence arbitrale ne sera pas exécutée. En réalité, le seul motif valable sur le fondement duquel une Cour chinoise pourrait refuser de reconnaître une sentence arbitrale serait d'utiliser une autre disposition de la Convention de New York, le paragraphe 2nd de l'article 5, qui prévoit qu'un Etat peut refuser d'exécuter une sentence arbitrale si une telle exécution serait contraire à son ordre public. Sauf que l'ordre public chinois n'est quasiment jamais utilisé par les Cours - trois fois au total -, et pas dans ce contexte-là. D'ailleurs, les autorités chinoises mettent même en avant sa très rare utilisation comme preuve de la stabilité du système chinois dans la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères. C'est assez hypocrite, car s'il est peu utilisé c'est parce que son utilisation est contournée par des erreurs de droit.

C'est sur ce thème qu'une évolution très récente a eu lieu. Fin 2015, la Cour intermédiaire de Shanghai a rendu un arrêt dans lequel elle a reconnu une sentence arbitrale rendue à l'étranger entre deux sociétés immatriculées en Chine, en utilisant pour la première fois la disposition selon laquelle il est possible de reconnaître la présence d'un élément d'extranéité dans « toute autre situation dans laquelle il est possible de reconnaître que la relation juridique comporte un élément d'extranéité ». Elle s'est fondée sur le fait que les deux sociétés étaient des sociétés à capitaux exclusivement étrangers et qu'elles étaient immatriculées dans la zone pilote de libre échange de Shanghai. Arrêt important, mais dont la portée n'était pas claire, notamment du fait qu'il n'y avait pas d'appel possible devant la Cour populaire suprême. Sauf que le 30 décembre dernier, la Cour Populaire Suprême a publié des « opinions sur la fourniture de garanties judiciaires pour la construction des zones pilotes de libre échange », prévoyant en son article 9 « qu'une convention d'arbitrage prévoyant un arbitrage à l'étranger, conclue entre deux sociétés à capitaux exclusivement étrangers immatriculées dans une zone de libre échange, ne peut être considérée comme nulle sur le seul fondement de l'absence d'élément d'extranéité ». La rédaction est un peu alambiquée mais il faut en retenir que dans une telle situation il est possible de prévoir un arbitrage hors de Chine. C'est un changement important, qui donne une plus grande liberté d'action aux différents acteurs économiques des zones de libre-échange, d'autant plus que s'il existe déjà quatre zones de libre-échange en Chine, en août le gouvernement chinois a annoncé la création prochaine de sept nouvelles zones.

Il y a un autre registre où ces opinions ont apporté du changement, c'est sur l'arbitrage ad hoc, qui consiste à ne pas rattacher l'arbitrage à une institution arbitrale, mais à tout choisir soi-même. C'est de l'arbitrage sur mesure, plus flexible, qui permet de gagner du temps et d'éviter le coût administratif des institutions arbitrales. La contrepartie est qu'il faut que tout soit bien prévu, pour éviter des complications.

Le principe est que tout arbitrage ayant son siège en Chine doit être sous l'égide d'une commission d'arbitrage, à peine de nullité de la convention arbitrale, ce qui interdit l'arbitrage ad hoc, que le litige présente ou non un élément d'extranéité.

De manière très innovante, le paragraphe 9 des opinions de décembre dernier dispose également que « peut être considérée comme valide la clause par laquelle deux sociétés à capitaux exclusivement étrangers immatriculées dans une zone de libre-échange prévoient qu'un arbitrage sera mené à un certain endroit, selon certaines règles d'arbitrages, par certaines personnes ». C'est exactement de l'arbitrage ad hoc. Et les opinions vont encore plus loin, car elles prévoient que si la cour chinoise considère cette clause comme invalide, avant de se prononcer, elle doit le reporter à la juridiction lui étant supérieure, et si l'opinion de celle-ci va dans le même sens, il faut demander à la Cour populaire suprême de se prononcer sur la question. C'est s'assurer que ce type de clause ne sera pas déclaré invalide de manière injustifiée. C'est une petite révolution, car c'est donner une autonomie totale aux parties.

Cependant, à l'heure actuelle il peut être risqué de choisir un tel type d'arbitrage car tout le système chinois de l'arbitrage a été pensé autour de l'arbitrage institutionnel et insérer soudainement la possibilité d'un arbitrage ad hoc conduit à des incompatibilités. A titre d'exemple, d'après la loi, la juridiction compétente pour prononcer l'annulation d'une sentence arbitrale est la cour intermédiaire du lieu de résidence de la commission d'arbitrage31 - quelle est la Cour compétente en cas d'arbitrage ad hoc ? - ; en cas de litige sur la validité de la clause d'arbitrage, l'autorité compétente pour déterminer si l'arbitre a le pouvoir de statuer est la commission d'arbitrage ou le juge - en ad hoc, l'arbitre pourra-t-il le faire de lui même comme c'est le cas à l'étranger, ou le juge doit-il être saisi ? - ; qu'en est-il des mesures conservatoires ? Un juge chinois acceptera-t-il une demande de mesure conservatoire provenant d'un tribunal arbitral ad hoc ? Ce sont des questions importantes auxquelles nous n'avons pas de réponse.

Il faut attendre des règles plus détaillées, qui ne devraient pas tarder car la Cour populaire suprême ne peut ignorer les incompatibilités qui existent et la nécessité de prévoir un cadre juridique en soutien de l'arbitrage ad hoc. En tout cas, c'est une nouvelle libéralisation du droit chinois de l'arbitrage qui, s'il fonctionne, sera sûrement étendu, car l'objectif des zones pilotes est justement d'expérimenter de nouvelles approches avant de les mettre en place au niveau national.

  1. Clause élective de loi applicable

Afin d'éviter l'insécurité juridique résultant du manque de précision du droit chinois, il vient à l'idée de soumettre le contrat à un droit étranger pour permettre de choisir une loi plus favorable à l'opération envisagée (c'est le principe du law shopping),

Le principe est que le droit chinois autorise les clauses électives de loi applicable dans les contrats impliquant un élément d'extranéité, tandis que celles-ci sont interdites dans les contrats purement internes.

Même dans un litige comportant un élément d'extranéité, le choix de la loi applicable est parfois exclu :

  • D'une manière générale, l'application de la loi étrangère ne doit pas contrevenir aux intérêts publics de la société chinoise, sous peine que soit finalement appliquée la loi chinoise34. Dans la même logique, il existe des règles impératives qui sont immédiatement applicables, sans passer par un système de conflit de loi. Une liste est non-exhaustive est fournie35, avec par exemple les règles de protection des travailleurs
  • Les litiges liés à l'exécution d'un contrat de joint venture sino-étrangère à capitaux propres, ou d'une entreprise coopérative sino-étrangère sont impérativement soumis au droit chinois36. Cela vise les questions de conclusion, de validité, d'interprétation, et d'exécution de ces contrats d'entreprise.
  • Les questions liées aux droits réels relatifs à un bien immeuble seront régies par la loi du lieu où celui-ci se trouve37. L'article 215 des opinions de la Cour populaire suprême relatives aux Principes généraux du droit civil précise que ces questions visent « la propriété, la vente, la location, l'hypothèque ou l'utilisation d'un immeuble », sans que cette liste ne soit limitative. Cette règle est importante car le droit des biens fait partie de ces pans du droit chinois qui est très différent du droit français. A titre d'exemple, en droit chinois la publicité foncière n'a pas un simple rôle d'opposabilité, mais a en principe un effet constitutif, c'est-à-dire qu'avant que les formalités n'aient été réalisées aucun transfert de propriété n'a pu avoir lieu. D'une manière générale, de nombreuses règles diffèrent, tant du point de vue de la constitution que de l'efficacité des droits réels. Il en résulte que rédiger un contrat sur le fondement d'une loi étrangère et devoir finalement appliquer le droit chinois des biens aux clauses relatives aux biens immeubles peut modifier radicalement la portée et l'équilibre d'un contrat en raison de la violation de cette règle impérative.
  • Enfin, il existe d'autres règles spéciales concernant les contrats de consommation, les contrats de travail ou la propriété intellectuelle.
  • Choisir une autre loi que la loi chinoise présente aussi des inconvénients. Cela vient notamment du fait que les parties ont alors l'obligation d'établir le contenu de cette loi. Cela a deux conséquences qu'il prendre en compte :
  • Un coût financier, car il faut faire traduire les règles applicables par des traducteurs certifiés et la juridiction chinoise exigera que toutes les informations lui soient fournies en chinois
  • Cela peut favoriser l'enlisement du litige, car les parties peuvent être en désaccord sur le droit étranger applicable. Une stratégie de défense dilatoire peut même consister à contester volontairement de nombreuses règles du droit étranger, forçant le juge chinois à des vérifications plus poussées. Enfin, si le juge chinois n'est pas satisfait du droit fourni par les parties, il décidera in fine d'appliquer le droit chinois. Au final, on se rend compte que si choisir un droit étranger peut sembler attrayant a priori, il y a des aspects négatifs qu'il ne faut pas négliger et qui peuvent conduire à ce qu'un tel choix se révèle désastreux notamment si, après une bataille judiciaire, le juge chinois décide d'appliquer le droit chinois, changeant toute la logique du contrat. Il faut donc bien garder en tête ces différents éléments et les mettre en balance avant de faire un choix.
  • Outre la loi applicable, il est également possible de choisir la juridiction compétente, via une clause élective de juridiction.
  • Il faut noter que si une partie est française et l'autre partie chinoise, un accord d'entraide judiciaire en matière civile et commerciale a été conclu entre la France et la Chine le 4 mai 1987, et celui-ci prévoit que la preuve du droit français pourra être apportée devant les juridictions chinoises sous forme de certificat délivré par l'ambassade ou un consulat de France en Chine, ou par toute autorité ou personne qualifiée.
  1. Clause élective de juridiction

L'idée est ici de désigner à l'avance la juridiction compétente afin de se prémunir contre l'utilisation par l'autre partie de son réseau local.

Le principe est qu'un litige contractuel donne compétence à la juridiction du domicile du défendeur ou du lieu d'exécution du contrat. Par lieu de domicile d'une personne morale, il faut entendre le lieu de son principal établissement.

Il est possible de rédiger une clause élective de juridiction et de choisir la juridiction compétente. Ce peut être celle du domicile du défendeur, du lieu d'exécution du contrat, du lieu de conclusion du contrat, du lieu de domicile du demandeur, du lieu de localisation de l'objet du contrat ou de tout autre lieu ayant un lien réel avec le litige. C'est parmi ces options qu'il faudra choisir un lieu « neutre ».

Dans un litige impliquant un élément d'extranéité, les options ouvertes sont les mêmes. Cela peut toutefois offrir aux parties la possibilité de désigner comme compétente une juridiction étrangère. Une telle désignation est valide tant qu'elle ne contredit pas la compétence impérative des juridictions chinoises.

Il faut respecter les règles suivantes :

  • En cas de litige lié à un immeuble, il est prévu une compétence impérative du tribunal de lieu de situation de celui-ci.
  • Les litiges liés à l'exécution d'un contrat de joint venture sino-étrangère à capitaux propres, ou d'une entreprise coopérative sino-étrangère relèvent de la compétence impérative des juridictions chinoises.
  • Il existe des dispositions spéciales impératives en droit de la propriété intellectuelle. Mais est-il vraiment judicieux de désigner comme compétente une juridiction étrangère, si le lieu d'exécution de la décision doit se faire en Chine ?
  • Pour toutes ces raisons, le choix d'une juridiction étrangère si la décision doit être en Chine n'est peut être pas le choix le plus pertinent. Si l'on veut se prémunir contre le guanxi, choisir une juridiction chinoise neutre semble plus efficace, à la condition de bien respecter les règles de compétence d'attribution, ces dernières pouvant être parfois assez complexes.
  • C'est une vraie question, car la Chine est hostile à la reconnaissance et à l'exécution sur son territoire de décisions étrangères. Ainsi, l'article 544 des interprétations de la Cour populaire suprême relatives à la Loi sur la procédure civile du 31 août 2012 dispose qu'en l'absence de convention internationale ou de relation de réciprocité, les tribunaux chinois doivent rejeter toute demande de reconnaissance et d'exécution d'une décision rendue par un tribunal étranger, sauf en matière de divorce. Même si l'accord d'entraide judiciaire en matière civile et commerciale prévoit la possibilité pour les juridictions chinoises d'accorder l'exequatur aux décisions françaises, à certaines conditions, cette position générale hostile se ressent dans l'application de cette convention, les juridictions chinoises étant très sévères dans leur accord de l'exequatur. Par ailleurs, l'exequatur est en soi un processus long et coûteux, car il faut que la décision soit passée en force de chose jugée en France puis il faut produire les documents nécessaires incluant des traductions en chinois certifiées, et ensuite attendre que le juge chinois statue.Il faut respecter les règles suivantes :
    • En cas de litige lié à un immeuble, il est prévu une compétence impérative du tribunal de lieu de situation de celui-ci.
    • Les litiges liés à l'exécution d'un contrat de joint venture sino-étrangère à capitaux propres, ou d'une entreprise coopérative sino-étrangère relèvent de la compétence impérative des juridictions chinoises.
    • Il existe des dispositions spéciales impératives en droit de la propriété intellectuelleMais est-il vraiment judicieux de désigner comme compétente une juridiction étrangère, si le lieu d'exécution de la décision doit se faire en Chine ?
    • Pour toutes ces raisons, le choix d'une juridiction étrangère si la décision doit être en Chine n'est peut être pas le choix le plus pertinent. Si l'on veut se prémunir contre le guanxi, choisir une juridiction chinoise neutre semble plus efficace, à la condition de bien respecter les règles de compétence d'attribution, ces dernières pouvant être parfois assez complexes.
    • C'est une vraie question, car la Chine est hostile à la reconnaissance et à l'exécution sur son territoire de décisions étrangères. Ainsi, l'article 544 des interprétations de la Cour populaire suprême relatives à la Loi sur la procédure civile du 31 août 2012 dispose qu'en l'absence de convention internationale ou de relation de réciprocité, les tribunaux chinois doivent rejeter toute demande de reconnaissance et d'exécution d'une décision rendue par un tribunal étranger, sauf en matière de divorce. Même si l'accord d'entraide judiciaire en matière civile et commerciale prévoit la possibilité pour les juridictions chinoises d'accorder l'exequatur aux décisions françaises, à certaines conditions, cette position générale hostile se ressent dans l'application de cette convention, les juridictions chinoises étant très sévères dans leur accord de l'exequatur. Par ailleurs, l'exequatur est en soi un processus long et coûteux, car il faut que la décision soit passée en force de chose jugée en France puis il faut produire les documents nécessaires incluant des traductions en chinois certifiées, et ensuite attendre que le juge chinois statue.
    • Pour toutes ces raisons, le choix d'une juridiction étrangère si la décision doit être en Chine n'est peut-être pas le choix le plus pertinent. Si l'on veut se prémunir contre le guanxi choisir une juridiction chinoise neutre semble plus efficace à la condition de bien respecter les règles de compétence d'attribution, ces dernières pouvant être parfois  assez complexes .
  1. Clause pénale

Le droit chinois des contrats prévoit la possibilité pour les parties d'insérer une clause pénale ou une clause de méthode de calcul des dommages et intérêts. Ces clauses sont extrêmement courantes en Chine : une simple recherche sur les sites recensant la jurisprudence publiée révèle qu'en 2016 ont été rendues plus de 460.000 décisions mentionnant l'existence d'une clause pénale48.

Ces clauses sont très utilisées car elles permettent de réduire l'aléa lié au calcul du préjudice par le juge, aléa qui un vrai problème en Chine. Cela tient avant tout à la taille du territoire chinois, au nombre très élevé de juridictions, le tout couplé à un niveau de vie très inégal selon que l'on se situe dans une ville côtière ou dans une province de l'Ouest. Cela a pour conséquence que selon le lieu de la juridiction, le préjudice sera évalué très différemment. C'est un problème que l'on retrouve en filigrane dans l'ensemble du droit chinois de l'indemnisation.

En ce qui concerne le régime des clauses pénales, le juge dispose d'un pouvoir modérateur si le montant accordé est inférieur ou excessivement supérieur au préjudice réel. Nous sommes très proches du droit français.

Deux questions : quelle est l'appréciation en Chine de l'excessivement supérieur ? Les juges modèrent-ils souvent les clauses pénales ?

En ce qui concerne l'excessivement supérieur, la Cour populaire suprême a donné des lignes directrices à suivre. Les juges chinois doivent ainsi trancher, en accord avec les principes d'équité et de bonne foi, « sur la base du préjudice réel, tout en prenant en compte l'état d'exécution du contrat, la gravité des fautes commises par les parties, ainsi que les bénéfices prévisibles ». La prise en compte du degré de gravité de la faute révèle que la Cour populaire suprême confère aux clauses pénales une fonction punitive.

Ensuite, il est prévu un taux standard permettant de considérer qu'une clause pénale est excessive. Ainsi, si le montant prévu est supérieur de 30% au préjudice réel, la Cour populaire suprême considère « qu'en général », celui-ci peut être considéré comme excessif51. Un tel standard permet d'assurer une certaine unité dans l'application du pouvoir modérateur du juge, mais en revanche ce taux n'est aucunement obligatoire pour le juge qui pourra modérer en dessous ou ne pas modérer au-dessus, en fonction des fautes commises par le débiteur.

En prenant du recul, il apparaît clairement que la Cour populaire suprême s'efforce de conférer une certaine stabilité aux clauses pénales, qu'elle voit de manière très favorable.

Par ailleurs, en jurisprudence, dans une écrasante majorité des cas, les juridictions se contentent d'appliquer les clauses pénales telles quelles, sans modération. Cela en fait un instrument efficace d'anticipation.

Une fois le contrat rédigé, il faut ensuite savoir réagir de manière adéquate lors de l'exécution de celui-ci. Que faire si le cocontractant n'exécute pas, ou risque de ne pas exécuter ?

II . L'anticipation au moment de l'exécution du contrat

Il faut distinguer le cas dans lequel l'inexécution a d'ors et déjà eu lieu (1), du cas dans lequel il s'agit d'anticiper une inexécution future (2).

  1. En cas d'inexécution présente

Le droit chinois ne présente pas de spécificité particulière par rapport au droit français.

Il est possible de faire jouer l'exception d'inexécution, c'est-à-dire de ne pas exécuter sa propre obligation dès lors que l'autre partie n'exécute pas la sienne, et il n'y a aucune condition de mise en demeure. En revanche, il est nécessaire de faire attention car la jurisprudence chinoise tend à ajouter au texte et à exiger que la mise en œuvre de cette exception soit proportionnée à l'inexécution de l'autre partie en rattachant cette obligation au principe d'équité.

Si l'autre partie n'exécute pas son obligation principale, il est également possible de résoudre unilatéralement le contrat, par notification, suite à une mise en demeure d'exécuter restée sans suite. Une mise en demeure n'est pas indispensable si l'objectif poursuivi pas le contrat ne peut plus être atteint.

Ce qui est bien plus intéressant, c'est que le droit chinois permet de mettre en œuvre ces mécanismes avant même que l'autre partie n'ait manqué à ses obligations : il s'agit alors d'anticiper une inexécution future. Ce sont des mécanismes assez libéraux que nous ne connaissons pas bien en droit français et qui peuvent pourtant s'avérer très précieux.

Ces mécanismes seront toujours utilisés après qu'une négociation ait échoué. Ils sont assez risqués dans la mesure où, utilisés à tort, ils sont susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle de celui les ayant invoqués, et ils tendent à dégrader voire à précipiter la fin d'une relation commerciale. Leurs conditions d'applications sont très floues, ce qui leur confère un grand champ d'application mais rend leur utilisation incertaine. Leur avantage est aussi leur défaut. Il faut donc garder en tête que ce sont des mécanismes de dernier secours.

  1. En cas de risque d'inexécution ou d'une inexécution future certaine

Il faut respectivement s'intéresser à l'exception pour risque d'inexécution (2.1), puis au mécanisme de reconnaissance anticipée d'une violation du contrat (2.2).

  1. 1. L'exception pour risque d'inexécution

L'hypothèse est la suivante : au sein d'une relation contractuelle, vous devez exécuter en premier. Il apparaît soudainement qu'il y a un risque que, suite à l'exécution de votre prestation, le cocontractant n'exécute pas la sienne. A priori vous êtes tenu d'exécuter car le contrat vous lie. Mais si vous le faites il y a un risque de subir un préjudice si le cocontractant n'exécute finalement pas, et si vous n'exécutez pas ce dernier pourrait vous poursuivre pour violation du contrat. C'est exactement pour donner une issue à la partie piégée qu'existe l'exception pour risque d'inexécution. En faisant jouer cette exception, celle-ci peut suspendre l'exécution de sa propre obligation.

Deux avantages à ce mécanisme :

  • Cette exception permet de limiter le préjudice subi. Ne pas avoir exécuté son obligation, c'est, si le contrat est par la suite résolu, avoir conservé son bien et évité des éventuelles démarches de restitution qui peuvent s'avérer difficiles et chronophage ; c'est éviter des frais de livraison ou d'exécution du contrat ; c'est éviter de perdre du temps. Cette exception, on le verra, peut même protéger partiellement le créancier si le débiteur tombe en procédure collective.
  • Elle peut également servir en tant que moyen de pression, notamment si la prestation à fournir est essentielle au cocontractant. L'idée est de le priver d'une prestation dont il a besoin et de n'exécuter que moyennant des garanties adéquates. C'est une sorte de levier pour obtenir des garanties, qui peut presque être considéré comme moyen de chantage. C'est pourquoi ce mécanisme n'a été inséré en droit français que lors de la réforme du droit des obligations d'octobre 2016, et à des conditions qui le rende impraticable, ce qui n'est pas le cas en droit chinois.

Trois conditions :

  • Un risque d'inexécution (A)
  • Une mise en œuvre proportionnée de l'exception (B)
  • Une notification au débiteur (C)

A) Un risque d'inexécution

  • L'article 68 de la Loi sur les contrats du 15 mars 1999 prévoit quatre situations caractérisant un risque d'inexécution.
  • Cet article dispose que « la partie devant exécuter en première peut suspendre l'exécution de son obligation si elle dispose de preuves précises établissant que l'autre partie se trouve dans l'une des situations suivantes :
    1. Sa situation commerciale s'est gravement dégradée
    2. Elle transfère des biens ou retire des fonds, dans le but d'échapper à ses dettes
    3. Elle a perdu sa crédibilité commerciale
    4. Toute autre circonstance dans laquelle elle a perdu, ou pourrait perdre, la capacité d'exécuter son obligation.

1) La situation commerciale du cocontractant s'est gravement dégradée

Premier constat : c'est très flou et subjectif.

Ce qui fait consensus, c'est que si le débiteur tombe en procédure collective, il est alors possible de considérer que sa situation commerciale s'est gravement dégradée. Mais dans cette hypothèse, en réalité, l'ouverture d'une procédure collective en droit chinois entrainant la déchéance du terme, la dette devient exigible et l'exception pour risque d'anticipation n'est pas à l'œuvre.

Ensuite, d'après l'article 17 des opinions directrices de la Cour populaire suprême relative à différents problèmes dans le règlement des litiges contractuels civils et commerciaux, il y a lieu de considérer que la situation commerciale du cocontractant s'est gravement dégradée si celui-ci s'est vu retirer sa licence commerciale.

Enfin, si une procédure de faillite n'est pas encore ouverte mais qu'une telle ouverture apparaît comme inexorable, il est possible de faire jouer l'exception pour risque d'inexécution.

Dans un tel cas cette exception s'avère très utile, car en retardant la livraison du bien, le contrat sera considéré comme en cours au jour de l'ouverture de la procédure et cela obligera l'administrateur judiciaire, s'il souhaite obtenir la livraison, à la demander, en contrepartie de quoi le créancier sera privilégié.

2) Le cocontractant transfère ses biens ou retire ses fonds dans le but d'échapper à ses dettes

En d'autres termes, le débiteur est en train d'organiser son insolvabilité.

Dans cette hypothèse, différentes options sont ouvertes selon l'objectif recherché :

Si l'objectif est de ne pas exécuter, il sera possible de faire jouer l'exception pour risque d'inexécution. En revanche, s'il est impératif pour le créancier d'exécuter, par exemple parce que les frais déjà engagés sont élevés, il est possible de mettre en œuvre l'équivalent d'une procédure sur requête, avant même de saisir sur le fond la juridiction compétente, dans le but de s'assurer que le débiteur sera en mesure de payer ou du moins de régler les dommages et intérêts auquel il sera condamné en cas d'inexécution de sa part. Il peut s'agir, entre autres, d'une saisie mobilière ou immobilière, d'un gel du compte bancaire, ou encore d'une interdiction pour les créanciers du débiteur de le payer - avec éventuel entiercement de leur paiement. Le tribunal compétent sera, au choix du demandeur, soit celui du lieu des mesures conservatoires, soit celui du domicile du défendeur, soit le tribunal qui serait compétent sur le fond. La procédure sera secrète, et le juge devra statuer sous les 48 heures à compter de l'enrôlement de l'affaire. Il sera obligatoire pour le requérant de fournir une garantie - afin de lutter contre les demandes abusives -, et il faudra ensuite saisir le juge ou l'arbitre sous les 30 jours, à défaut de quoi les mesures conservatoires seront caduques. La partie adverse peut demander au juge de rétracter sa décision, mais cette demande n'est pas suspensive d'exécution .

C'est typiquement dans les situations où il y a une organisation de l'insolvabilité que ces mesures conservatoires sont mises en œuvre. Ces dispositions sont loin de rester lettre morte car les juges chinois les utilisent vraiment : il existe une multitude d'arrêts, avec des saisies allant de quelques milliers à des centaines de millions de yuans. Cela s'explique par la clarté du régime en cause, notamment grâce aux précisions récentes apportées par l'interprétation judiciaire de la Cour populaire suprême relative à La loi sur la procédure civile, en date du 18 décembre 2014. C'est une étape très importante du point de vue de l'effectivité du droit chinois.

L'obligation pour le requérant d'une mesure conservatoire précontentieuse de fournir une garantie est très importante en pratique. Il existe de plus en plus de sociétés spécialisées en garanties procédurales qui fournissent une garantie moyennant paiement, ou des sociétés d'assurances ou des banques qui développent une activité dans ce domaine. Par ailleurs, cette obligation illustre bien comment s'enchevêtrent les normes de différents niveaux en droit chinois et en quoi le droit chinois est appliqué de manière différenciée selon les juridictions.

D'après l'article 152 de l'interprétation de la Cour populaire suprême relative à la Loi sur la procédure civile, cette garantie doit être équivalente à la valeur de la mesure conservatoire demandée. Cela pouvant correspondre à une somme élevée et priver certaines parties de la possibilité de demander une mesure conservatoire, il est également prévu qu'en cas de circonstances spéciales, la Cour peut en décider autrement. Dans cette logique, d'après les règles relatives aux mesures conservatoires édictées par la Cour supérieure de Pékin, si le requérant n'est pas capable de fournir une telle garantie et si les relations juridiques entre les parties sont claires, il est possible d'exiger du requérant une garantie d'un montant inférieur, dans la limite minimale de 20% de la valeur du bien. En revanche, les règles relatives aux mesures conservatoires édictées par la Cour supérieure de Shanghai ne prévoient aucune dérogation précise. Il en résulte qu'une partie qui aurait pu obtenir une mesure conservatoire devant la Cour supérieure de Pékin ne pourra pas forcément en obtenir une devant la Cour supérieure de Shanghai.

Par ailleurs, la Cour populaire suprême vient de publier de nouvelles interprétations à ce sujet, qui sont entrées en vigueur début décembre. A priori, elles vont entrainer des changements dans les différentes règles adoptées par les juridictions locales. Mais à l'heure actuelle, il n'est pas certain qu'une juridiction applique les interprétations de la Cour populaire suprême plutôt que ses propres règles. C'est même plutôt l'inverse qui est probable, car c'est typiquement dans ces situations là que la hiérarchie des normes a tendance à s'inverser en Chine, ce qui contribue à l'insécurité juridique.

Ce qu'il faut en retenir, c'est qu'il est essentiel en droit chinois de chercher à chaque fois si la juridiction compétente n'a pas publié de règles relatives à telle ou telle question. Si elles existent, il est presque certain qu'elles seront appliquées par le juge. Les règles des juridictions locales étant très nombreuses, cette prise d'information est une des missions essentielles de l'avocat en Chine. Cela vaut tant en contentieux que lors de la rédaction d'un contrat et du choix de la juridiction compétente, car cela peut amener à faire des choix stratégiques, si l'on se rend compte que sur une disposition importante du contrat, telle ou telle juridiction a publié des règles qui pourraient s'avérer plus ou moins favorables à l'intérêt du client.

3) La perte par le cocontractant de sa crédibilité commerciale

Deux remarques sur ce point :

-C'est parfaitement en accord avec la vision chinoise classique du contrat selon lequel, plutôt qu'une institution intouchable figeant les obligations des parties, le contrat est un témoin de la confiance existant entre ces dernières à un instant précis. Ainsi la dégradation des relations personnelles des parties peut entrainer la suspension de l'obligation d'exécuter. Bien évidemment, sous l'influence du droit étranger et de l'internationalisation du droit, depuis un certain temps que le contrat est doté d'une réelle normativité. C'est en tout cas ce qui explique qu'en jurisprudence c'est bien souvent ce motif qui est invoqué comme justification de l'exception.

-En pratique le juge va d'abord prendre en compte l'importance de la confiance dans le contrat en cause. Plus la confiance est importante, plus souple sera l'appréciation de la perte de confiance justifiant l'exception. Ainsi cette exception sera plus aisément admise dans un contrat de construction s'étendant sur des années que dans un simple contrat de vente. D'autres éléments seront ensuite pris en compte, telle une condamnation pour fraude du débiteur, ou si ce dernier a manqué à ses engagements dans d'autres contrats analogues conclus avec le créancier ou avec des tiers.

4) Toute autre circonstance dans laquelle le cocontractant a perdu ou peut-être perdu la capacité d'exécuter

Si le texte distingue perte et possible perte, les juges semblent exiger en réalité une perte certaine.

Ce quatrième cas est une disposition balai vraiment caractéristique du droit chinois. Il coexiste des dispositions visant des cas particuliers et une disposition générale et floue. Ceci donne lieu à un débat qui est toujours le même entre les juristes chinois avec, d'un côté, ceux qui considèrent que la disposition générale est trop floue pour être appliquée, et ceux qui considèrent que de telles dispositions sont « nécessaires afin de s'adapter aux besoins issus du développement de l'économie de marché ». En fin de compte, plus que des portes grandes ouvertes, celles-ci jouent plus le rôle d'issue de secours, car les juges chinois sont très frileux à les utiliser, ce qui est une bonne chose en termes de sécurité juridique.

Une fois qu'un risque d'inexécution est établi, il est possible de suspendre de manière proportionnée l'exécution de son obligation, à la condition de le notifier au cocontractant.

B) Suspension proportionnée

Cette obligation de proportionnalité n'est pas prévue dans le texte de la loi, mais elle s'applique nécessairement dès lors que la Cour populaire suprême l'applique à l'exception d'inexécution.

C) Obligation de notifier l'exception au cocontractant

Si cette condition est simple, elle en revanche loin d'être négligeable. Aux termes de l'article 69 de la Loi chinoise sur les contrats du 15 mars 1999, « si une partie suspend l'exécution de son obligation conformément aux dispositions de l'article 68, elle doit le notifier à l'autre partie en temps voulu ».

Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour populaire suprême que sans notification, il n'y a pas d'exception pour risque d'inexécution valide, et ce même s'il existait bien un risque.

Deux raisons à cette jurisprudence :

- Eviter que l'exception ne soit invoquée de mauvaise foi : c'était une pratique fréquente. La technique développée était la suivante : une partie devant exécuter en premier n'exécutait pas, puis l'autre partie avançait l'exception d'inexécution classique. Une fois devant le juge, la première partie avançait comme moyen de défense que, si elle n'avait pas exécuté, c'est parce qu'il y avait un risque que la seconde ne le fasse pas, et preuve en est que celle-ci n'a effectivement pas exécuté - alors qu'elle ne faisait qu'opposer l'exception d'inexécution -. C'est pour tarir ce genre de contentieux que la Cour populaire suprême a véritablement érigé la notification comme condition indispensable à l'exception pour risque d'inexécution car dans ces affaires là, bien évidemment, il n'y avait jamais eu de notification, l'exception étant invoquée a posteriori.

- Sans notification, l'autre partie est privée de la possibilité de fournir des garanties d'exécution ou de contester l'exception. L'obtention de garanties d'exécution est un élément important de ce système : ces assurances peuvent être très variées, et aller de la simple explication, à la conclusion d'un gage, d'une hypothèque ou d'un cautionnement. C'est là également où l'on retrouve un aléa dans ce mécanisme, car l'appréciation du juge sur l'adéquation ou non de la garantie sera essentielle.

Deux remarques conclusives sur l'exception pour risque d'inexécution :

-En ce qui concerne la charge de la preuve, en cas de contentieux c'est à celui qui a avancé l'exception pour risque d'inexécution de prouver que sa démarche était fondée.

-Si le risque ne disparaît pas et si aucune garantie adéquate n'est fournie dans un délai raisonnable, le créancier peut résoudre le contrat, ce qui lui donne le droit de quitter un contrat sur le seul fondement d'un risque qui persiste.

Dans la même logique, il est possible d'aller encore plus loin que la simple suspension de son obligation et tenter de faire reconnaître de manière anticipée que le contrat a été violé.

2. 2. La reconnaissance anticipée d'une violation du contrat

L'article 108 de la Loi sur les contrats du 15 mars 1999 dispose : « si une partie exprime clairement ou indique par son comportement qu'elle ne va pas exécuter ses obligations, l'autre partie peut engager sa responsabilité contractuelle avant l'expiration du délai d'exécution ». Cette possibilité de reconnaître une violation anticipée du contrat apparaît indispensable aux yeux de nombreux juristes chinois, car à défaut, pour reprendre une formule classique, si le cocontractant ne pouvait rien faire il serait tout simplement condamné à « s'asseoir en attendant d'être tué ».

La violation peut tout d'abord être expresse, si une partie « exprime clairement » qu'elle ne va pas exécuter ses obligations. Ces déclarations doivent être claires et fermes, c'est-à-dire non soumise à condition.

La violation peut ensuite être tacite, dans le cas où le débiteur « indique par son comportement » qu'il ne va pas exécuter ses obligations. Toute la difficulté réside dans le volet probatoire, dans la mesure où il faut convaincre le juge que l'inexécution future est certaine. C'est souvent le défaut de preuve qui conduit à la sanction de l'utilisation de ce mécanisme.

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en vertu de l'article 17 des opinions directrices de la Cour populaire suprême relatives à différents problèmes dans le règlement des litiges contractuels civils et commerciaux, il est possible dans cette situation de demander à la Cour populaire compétente de prononcer la déchéance du terme. L'idée de la Cour populaire suprême était de permettre un contrôle a priori de la violation anticipée, car jusqu'ici en cas de violation anticipée le créancier avait le choix, soit de l'ignorer, soit de résoudre unilatéralement le contrat, ce qui a conduit à ce que beaucoup d'erreurs soient commises.

Il convient enfin de noter que la violation doit porter sur les obligations principales du débiteur, et la reconnaissance d'une violation anticipée du contrat doit être notifiée au débiteur par le créancier.

Conclusion

En prenant un peu de recul, on se rend compte que le droit chinois est un droit de plus en plus technique.

La jurisprudence commence ainsi à être utilisée : des premières thèses s'appuyant sur celle-ci ont été publiées, de plus en plus d'arrêts sont médiatisés et les jurisprudences directrices de la Cour populaire suprême sont les premières jurisprudences liant les juridictions inférieures.

Cet usage de la jurisprudence, même si c'est un processus encore en construction, constitue l'un des plus grands changements récents qu'ait connu le droit chinois. Il va irriguer tous les pans de ce droit, va permettre de réduire l'insécurité juridique et par conséquent va améliorer l'anticipation des litiges.

Il faut que cette utilisation de la jurisprudence devienne une habitude, comme elle l'est en France, et c'est pourquoi il est regrettable qu'à l'heure actuelle la formation des juristes chinois n'ait pas encore saisi cet enjeu et reste focalisée sur le droit comparé, alors que - et sans remettre en cause l'importance du droit comparé -, le futur du droit chinois passe avant tout par l'utilisation de sa propre jurisprudence, plus que par l'étude ce qui est jugé en Allemagne, en France ou au Japon.